La passionnante aventure martiniquaise de Steeve Elana

Le gardien lillois participe à la Coupe caribéenne des Nations avec la Martinique.

Euro 2016, CAN 2015… Tandis que les yeux de la planète foot sont rivés sur ces éliminatoires, plusieurs îles d’Amérique Centrale se disputent actuellement la Coupe caribéenne des Nations. Parmi les sélections qualifiées, la Martinique de Steeve Elana fait figure d’outsider. Avant de s’envoler pour la Jamaïque où se tient ce tournoi, du 10 au 18 novembre, le portier lillois nous a livré une interview très originale.

Steeve, bonjour. Tout d’abord, d’où t’es venue cette idée de défendre les couleurs de l’île d’où sont originaires tes parents ?
C’est une envie très ancienne, à vrai dire. Même si je suis né en Métropole (à Aubervilliers), mes parents sont Martiniquais. J’ai vécu là-bas pendant un an, chez ma grand-mère, entre sept et huit ans. J’ai toujours été profondément attaché à mes racines, si bien que très tôt, j’ai émis le souhait de jouer pour cette sélection. Mais il faut savoir que les clubs n’ont pas l’obligation de laisser partir leurs joueurs, surtout quand les dates ne sont pas homologuées (ce qui n’est maintenant plus le cas, le calendrier ayant été adapté aux échéances FIFA).

Rappelons que la Martinique n’est pas une fédération, mais une ligue. Quelle est la différence ?
Nous dépendons de la FFF, au même titre que le Nord-Pas de Calais, par exemple. Mais notre situation géographique nous place en Amérique Centrale. Nous ne sommes donc pas rattachés à l’UEFA, mais à la CONCACAF (Confédération de football d'Amérique du Nord, d'Amérique Centrale et des Caraïbes). Ce statut est particulier puisque les clubs martiniquais disputent aussi la Coupe de France. Ils peuvent donc potentiellement participer à une coupe d’Europe en cas de victoire. Ce serait d’ailleurs insolite si ça arrivait un jour (sourire).

En quoi cela change-t-il quelque chose sur le terrain ?
Le décalage financier et de moyens humain est considérable entre une fédé et une ligue. Par exemple, d’ici à la Coupe du Monde 2018, la Jamaïque va recevoir 20 millions d’euros. Nous, cette année, notre budget total oscille entre 400 000 et 800 000 euros. C’est pourquoi je veux vraiment souligner le travail des bénévoles autour de notre sélection. Ils font leur maximum pour qu’on se sente le mieux possible. Il existe une vraie quête de professionnalisation.

« Je partage le vestiaire avec des garçons qui posent des jours de congé pour jouer ! Je ne peux pas être insensible à ça »

 

Après deux phases qualificatives franchies avec succès en septembre et octobre, la Martinique participe donc à la phase finale de la Coupe caribéenne des Nations. Quel est le programme ?
Le niveau est plus élevé et notre groupe très disputé. Le favori, c’est la Jamaïque qui est une fédération, qui dispose donc de tous ses joueurs. Il y a ensuite Haïti et Antigua-et-Barbuda, qu’on ne connaît pas bien. Les deux premiers de chaque poule disputeront les demi-finales et obtiendront leur billet pour la Gold Cup 2015, le tournoi phare d’Amérique du Nord et Centrale. Quant au vainqueur, il représentera aussi la Caraïbe à la Copa America. Ce sera difficile, d’autant que la compétition, qui se déroule sur dix jours, va déborder au-delà de la trêve internationale. Plusieurs joueurs vont donc être obligés de quitter la sélection juste avant les demi-finales !

À quoi ressemble le style de jeu caribéen ?
C’est du football total, très généreux, rugueux défensivement. L’objectif est d’envoyer les flèches en contre-attaque. Quand l’équipe mène au score elle essaye de gérer, mais celle qui perd se découvre totalement. On vit alors des matchs de coupe aux scénarios rocambolesques. Par exemple, lors de notre dernière rencontre, on jouait notre qualification et n’avions besoin que d’un nul. Malheureusement, nous étions menés 3-1 à la 65e minute. Au final, on l’a emporté 4-3. Il y a beaucoup d’erreurs, mais dans les deux sens. C’est très spectaculaire.

Comment situes-tu le niveau de cette équipe martiniquaise composée de joueurs locaux et de pros évoluant en métropole ?
Beaucoup de mes partenaires sont des amateurs qui s’entraînent le soir car ils ont un emploi. Je partage le vestiaire avec des garçons qui posent des jours de congé pour jouer cette compétition ! Le foot occupe une grande place dans leur vie. Ils possèdent un talent brut, regardent énormément de matchs, sont avides d’expériences et sont à l’écoute de tout. Je ne peux pas être insensible à ça. Cela me donne encore plus de fierté. Je me rends compte à quel point je suis un privilégié.

Quel est ton rôle dans ce groupe ?
J’ai le devoir d’apporter mon expérience. Ce qui nous manque, c’est le temps. On va donc à l’essentiel. Avec Julien Faubert (Bordeaux), Marvin Essor (Créteil), Chris Glombard (Reims) et les professionnels de l’équipe, on tient un discours tactique, on se comprend vite car c’est notre pain quotidien. Alors on essaye de donner des formations accélérées aux autres pour mettre en place des choses très simples qui vont permettre aux joueurs de ne pas produire d’efforts inutiles, comme jouer le hors-jeu quand il le faut, segmenter les zones sur le terrain…

« Je remercie vivement le LOSC et René Girard de m’avoir permis de vivre ça. Je réalise un de mes rêves d’adulte »

 

Quand on regarde l’histoire du football français, on constate que beaucoup de joueurs pros sont originaires de Martinique. Pourquoi ne vous ont-ils pas rejoint dans cette aventure ?
Dans l’équipe, nous sommes neuf  à venir de métropole, dont cinq pros. Mais ce que les gens ne savent pas, c’est que la sélection a fait appel à plus de 30 joueurs de haut niveau, comme les frères Marveaux (Guingamp et Montpellier), Rivière (Newcastle), Sorbon (Guingamp), Modeste (Hoffenheim), Audel (Nantes), Grougi (Brest) ou Briand (Hanovre). Certains clubs n’ont pas accepté de les libérer. Après, je peux comprendre que pour certaines formations, il est moins évident de laisser partir un garçon que dans des grands clubs habitués à perdre 8-10 éléments à chaque fenêtre internationale.

Qu’as-tu ressenti au moment de jouer ton premier match sous ce maillot ?
Énormément de fierté. J’ai évolué devant mon frère, mes neveux et cousins qui pour certains, ne m’avaient jamais vu jouer en vrai. Et puis cela m’a aussi permis de rendre visite à ma grand-mère, chose que je n’avais pas pu faire dernièrement. (ému) Ce fut très fort pour moi. Ce sont des choses que je n’oublierai jamais. Je remercie vivement le LOSC et René Girard de m’avoir permis de vivre ça. Le bénéfice est double. Pour le club, parce que cette aventure m’offre du temps de jeu. Mais aussi pour moi, car ça me permet de réaliser un de mes rêves d’adulte.

Pour finir, quel est l’hymne martiniquais ?
(sans hésiter) La Marseillaise ! Mais avec l’accent, comme dirait Franck Béria (sourire). Cela ne nous empêche pas d’avoir des musiques traditionnelles, le gwoka, par exemple. Il s’agit d’un chant qui tire son origine de l’esclavage. Car il y a aussi tout cet héritage en nous. On souhaite simplement de la reconnaissance. Et cela passera par des résultats. Notre combat est double : sur le terrain et sur le plan symbolique. En toute humilité.

Merci Steeve Elana et bonne chance à la sélection martiniquaise dans le tournoi.