LOSC-RCL : Pas besoin d’être né ici pour être Lillois
Être Lillois, c’est quoi ? Naître dans la région ? Suivre sa formation au LOSC ? Oui, mais pas que. Alain Fiard (1987-1993), Grégory Wimbée (1998-2004), Fernando D’Amico (1999-2003) et Grégory Tafforeau (2001-2009) n’ont pas grandi ici. Ils n’ont même pas été formés chez les Dogues. Et pourtant, tout en eux transpire l’identité lilloise. Ce maillot, ils l’ont mouillé. Et le derby, ils l’ont déjà gagné. Entretiens croisés.
Parfois, on ne naît pas Lillois, on le devient
Fernando D’Amico : J’ai toujours adoré les derbys. En Argentine, on a cette culture. Enfant, je jouais pour l’Atlético All Boys. Notre derby était contre Nueva Chicago, un autre quartier chaud de Buenos Aires. À chaque fois qu’on s’affrontait, ça dégénérait. C’était n’importe quoi ! À l’âge de 17 ans, je joue mon premier derby avec les pros. Je suis entré dans le match comme un fou furieux, je courais partout avec la grinta. Un joueur adverse me donne un coup de coude et prend rouge direct. Juste avant la pause, un autre m’assène un coup de tête. L’arbitre nous expulse tous les deux. Je me revois dans le vestiaire à pleurer d’avoir laissé mon équipe à 10. Je m’en voulais beaucoup. Mais quand mes partenaires sont arrivés quelques minutes après, ils m’ont tous félicité d’avoir contribué à faire expulser deux adversaires. »
Gregory Wimbée : « Chaque région a son derby. Là où j’ai grandi, c’était Nancy-Metz, deux villes plutôt équivalentes en termes de population ou d’architecture et qui se sont toujours "battues" pour à peu près tout. Pour le foot, mais aussi pour être capitale de la région, pour avoir l’autoroute, le TGV… Quand je suis arrivé dans le Nord, certains m’ont dit qu’il y avait une différence de ferveur, d’importance entre Lille et Lens. Mais quand on regarde l’Histoire et les titres remportés, moi je ne trouve pas. »
Alain Fiard : J’ai grandi en région parisienne. Nous n’avions pas vraiment de derby. J’ai ensuite joué à Bastia, puis à Auxerre, mais nos rivaux, Ajaccio et Dijon, n’étaient pas en première division à l’époque. C’est vraiment en arrivant au LOSC que j’ai découvert cette atmosphère. De toute ma carrière, les plus beaux derbys que j’ai eu la chance de jouer étaient ceux du Nord. »
Grégory Tafforeau : « Moi, j’avais connu les Caen-Le Havre ou Caen-Rouen. J’avais entendu parler du derby du Nord, évidemment et j’étais curieux de voir à quoi ça ressemblait. Mais tu as beau l’imaginer, ça ne remplace pas le jour où tu découvres vraiment tout ça en vrai, en tant que joueur. »
Avant le derby, une semaine spéciale ?
Grégory Tafforeau : « Dès que les calendriers sortent, l’une des premières choses que l’on regarde, ce sont les dates des derbys. Quand j’étais joueur et même encore aujourd’hui, les gens que je croise me parlent beaucoup de ce match. Ça chambre un peu, ça se cherche. Mais ça fait partie du jeu, c’est de bonne guerre et ça contribue aussi à faire un peu monter la pression. »
Gregory Wimbée : « À mon époque, on s’entraînait à Grimonprez-Jooris. La semaine qui précédait le derby, il y avait plus de monde à la sortie de l’entraînement, pour te parler, t’encourager, t’expliquer l’importance de ce match. Lors de mon premier LOSC-RCL, en 2000 (victoire 2-1), on venait de remonter, il n’y avait pas eu de derby depuis trois ans. Ça manquait aux gens, à la région. »
Fernando D’Amico : « Quand je les croisais dans la vie de tous les jours, les supporters me disaient tout le temps qu’il fallait gagner le week-end suivant. Mais pour le derby, c’était encore plus prononcé. C’était le match de l’année. En tant qu’Argentin, ça me parle. Chez nous, il existe de grandes passions, donc de grandes rivalités et de grands derbys, comme River-Boca ou Independiente-Racing. Ce jour-là, la ville s’arrête de vivre, tout le monde ne pense qu’à ça. »
Sur le terrain, qu’est ce qui change ?
Alain Fiard : « Ce match, il ne faut pas le jouer dans sa tête avant. Quand tu entres sur le terrain, tu essayes souvent d’emballer immédiatement la partie, pour impressionner l’adversaire, mais aussi pour se mettre le public dans la poche. Les premiers ballons sont importants. Si tu sors vainqueur de tes premiers duels, tu sais que tu prends le dessus. On parle toujours d’agressivité, mais il faut une agressivité contrôlée. À Bastia, j’ai souvent connu cet état d’esprit, on était des lions. Les anciens transmettent les valeurs aux nouveaux. J’en avais des frissons. Je me battais sur tous les ballons. Si à la fin tu as des regrets, c’est que tu n’as pas fait les efforts qu’il fallait.»
Grégory Tafforeau : « Je dirais que sur ce match plus qu’un autre, il faut se mettre dans sa bulle, ne pas trop se préoccuper des à côté. Être combatif est la moindre des choses. Si les joueurs ne le sont pas lors d’un derby, je me demande quand ils le seront. De toute façon, si un joueur ne l’est pas, les tribunes seront là pour lui rappeler. On peut excuser beaucoup de choses, mais pas un manque d’implication dans un derby. Après, il faut aussi veiller à ne pas se disperser. Quand on est jeune et qu’on est lancé là-dedans, ça peut vite devenir impressionnant et te faire déjouer. »
Fernando D’Amico : « Sur le terrain, il faut un gros mental, rester ensemble, solidaire et surtout, jouer pour les supporters. Ce match-là plus que les autres, c’est pour eux. Pour la ville. Pour la région. Tu ne peux pas perdre, c’est interdit. Il faut tout donner, avoir la gnac, la grinta, mais tous ensemble, pas de façon décousue. Et avec beaucoup d’intelligence. Sinon tu perds les pédales et tu laisses ton équipe à 10. »
Grégory Wimbée : « À ton arrivée au stade, à l’échauffement, Il y a plus de monde, de bruit, d’effervescence. À l’époque, Vahid avait instauré un petit discours du capitaine avant le match, dans la salle d’échauffement, quelque chose de court, mobilisateur, positif, axé sur le match. Des mecs comme Pat’ (Collot) ou Djezon (Boutoille) prenaient la parole pour transmettre ce supplément d’âme. J’ai fait partie d’une équipe dans laquelle l’état d’esprit était déjà « à la vie, à la mort ». Donc cette mentalité, nous l’avions déjà avant de jouer les derbys en D1. »
Les valeurs, l’écusson, l’institution
Alain Fiard : « À mon époque, les effectifs étaient assez stables d’une saison sur l’autre, si bien qu’on connaissait l’adversaire. L’identité avait le temps de s’installer. On dit souvent qu’un derby ne se joue pas, qu’il se gagne. Seul le résultat compte. Même une victoire sur un but de raccroc, on prenait. »
Grégory Wimbée : « À Lille comme à Lens, l’institution est importante. Dans les grands clubs, c’est comme ça : tu te bats pour la ville, pour ça (il montre l’écusson). Il n’est pas forcément nécessaire d’être né dans la région ou d’avoir été formé au club pour en épouser les valeurs. Si tu as un vécu au club et que tu as démontré ton attachement, tu es légitime pour exprimer aux nouveaux pourquoi ce match est spécial, pourquoi tu es encore là et pourquoi tu aimes le club. Dimanche, il y aura de ça, mais pas seulement. On va assister à une confrontation entre deux styles ambitieux. On va vraiment pouvoir parler foot plus qu’engagement, entre deux équipes qui jouent, qui ont de la personnalité et qui proposent de belles choses. »
Grégory Tafforeau : « Dans le football d’aujourd’hui, les effectifs se renouvellent plus vite qu’à mon époque. Il y a donc moins de joueurs formés au club ou qui y restent plusieurs années. C’est comme ça. Et c’est en cela qu’il est important de transmettre les valeurs aux nouveaux. Dans un derby, on pense aux supporters plus que d’habitude. C’est un argument de plus en termes de motivation. Nous sur le terrain, ce qu’on veut, c’est gagner pour faire plaisir aux gens, pour leur permettre de faire un peu les « coqs » dans la vie de tous les jours face aux supporters de l’autre camp. »
Pour toi, le LOSC, c’est quoi ?
Fernando D’Amico : « Pour moi, le LOSC est l’équipe de la région. C’est le club qui a le plus gros palmarès, qui a la plus grande expérience européenne. Lille, c’est la classe, c’est l’intelligence collective, c’est un grand club français, avec une grande histoire, qui joue régulièrement le haut niveau. À chaque fois que je reviens ici, notamment quand je présente mes bandes dessinées dans les écoles de la région, je croise beaucoup, beaucoup de supporters lillois. Partout. »
Alain Fiard : « Les valeurs du LOSC sont transmises aux nouveaux par les anciens et les joueurs formés au club. De ma génération, les Nordistes de l’effectif se nommaient Dominique Thomas, Fabien Leclercq ou encore Éric Decroix. Ils m’ont vite mis dans le bain par leurs mots, leurs attitudes. »
Grégory Tafforeau : « Le LOSC a déjà prouvé à maintes reprises qu’il était capable de remplir son stade et d’offrir une immense ferveur. Quoi qu’il en soit et en dépit des comparaisons, je pense qu’il y a autant d’implication et de passion chez les supporters lillois que de l’autre côté. Ils aiment autant leur club. D’ailleurs, j’aimerais qu’on parle aussi un peu des amoureux des deux équipes, car il y en a beaucoup. Des gens aiment autant Lille que Lens. C’est aussi la preuve que nous sommes une vraie région de foot. »
Grégory Wimbée : « Lille est l’une des métropoles les plus grandes et dynamiques de France. Il y fait bon vivre, il s’y passe beaucoup de choses et un grand club français y évolue. Les supporters du LOSC viennent de partout dans la région et même en France. Nous avons des sections de supporters aux quatre coins du pays. Des études ont déjà été faites sur la côte de popularité du LOSC et il n’a pas à rougir de l’engouement qu’il génère. Quand on est capable de faire des centaines de kilomètres pour venir au stade, de prendre du temps de créer des banderoles, des tifos, de dépenser de l’argent pour son club, on est à égalité avec n’importe quel autre supporter d’un autre club qui s’investit autant. Il n’y a pas de hiérarchie dans la passion. »