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Les « Dogues » ont 105 ans

Il y a 105 ans, le 29 février 1920, l'Olympique Lillois, l’ancêtre du LOSC, officialise la nouvelle : ses joueurs sont des « Dogues ». Si l'origine exacte de ce surnom est encore un mystère, il existe aussi quelques certitudes quant aux raisons qui l'ont amené.

Un surnom apparu en novembre 1919

En l’état actuel des recherches, la première occurrence trouvée remonte au 10 novembre 1919 dans le quotidien Le Télégramme du NordAprès un match perdu par les Lillois sur le terrain du Stade Roubaisien (0-2), on lit : « L’OL, qui semble avoir joué de malchance, a raté 3 buts qui auraient pu être rentrés, sans l’hésitation qu’ont eue les avants de charger le keeper roubaisien. Somme toute, les ‘Dogues’ furent bons enfants, ou bien, impressionnés par la réputation qui leur est faite, ils ont préféré jouer en ‘faiblards’ ». À partir de mi-novembre 1919, les références aux Dogues pour désigner les joueurs de l'OL se multiplient. Les occurrences (toujours entre guillemets, ce qu'on peut interpréter comme l'indication d'une nouveauté) apparaissent également dans la presse nationale, ici avant un OL/Boulogne-sur-Mer : « Les avants visiteurs ne paraissent pas posséder assez de cohésion pour troubler la vigilance des 'dogues' » (L'Auto, 10 janvier 1920). Il n'y a donc aucun doute là-dessus : le surnom apparaît fin 1919. 

 

DèS JANVIER, "le baptême du dogue" est annoncé

La réputation devient telle qu’Allez l'OL, le bulletin du club, s'en saisit en janvier 1920 (n°11), et, s'adressant à ses joueurs et à ses supporters, demande de « [se parer] de cette expression comme d'un titre de gloire », ce qui sous-entend que la qualification ne semble pas avoir été utilisée initialement avec cette ambition.

En février, Allez l'OL (n°15) annonce une grande nouvelle : le surnom va être officialisé au cours d'un « baptême du Dogue ».

« Tout arrive. Quand nous avons lu dans un journal qui voulut la peau de l'OL et en... mourut, que l'on baptisait nos brillants équipiers premiers « les Dogues », ce fut une protestation unanime que traduisit, à différentes reprises, au Comité, Bernardy, indigné.  Et puis à la réflexion, nous nous sommes dits qu'il valait mieux sourire et que tout ce que l'on tenterait contre l'OL cimenterait davantage nos sympathies ardentes pour ceux qui représentent si dignement notre grand club. Nous nous sommes parés de ce mot comme d'un titre de gloire. Après tout, nos athlètes ne sont-ils pas de bons dogues tenaces, fidèles, courageux ? Va pour le dogue »

Dans le même numéro, on apprend même que cette histoire de dogue tombe à pic car, durant la guerre, l’Olympique Lillois a perdu son « ancien fétiche »… un « ours olympien » ! Ainsi donc le dogue lillois a un ancêtre, qui a bien peu vécu (l'évocation de cette disparition est la seule trace que nous en ayons trouvée). Son successeur est « un bon dogue au collier blanc et rouge » offert par une certaine Madame Bernard. Et si ce fétiche a été adopté, c'est parce qu'il « nous porta la veine au terrain de la Légion Saint-Michel ». Que s'y est-il passé ?

Quelques jours auparavant, le 1er février, les Lillois se sont déplacés à Paris pour affronter l'Olympique de Paris en 8e de finale de coupe de France. Le match doit se dérouler à 14h au stade Bergeyre, au nord de la capitale. Seulement, en y arrivant, joueurs parisiens et lillois, et spectateurs, trouvent porte close : le terrain est impraticable (« lourd, boueux, marécageux, injouable », Sporting, 3 février). Une solution de repli est trouvée : le stade de la légion Saint Michel, dans le 15e arrondissement, c'est-à-dire à l'autre bout de Paris ! Après un périple dans la capitale avec leurs supporters, les Lillois parviennent in extremis au stade, pour un coup d'envoi décalé à 15h. Les dirigeants de l'OL protesteront vivement, mais l'issue du match va les amadouer, puisqu'après un match heurté, les « blancs cerclés de rouge » s'imposent 2-1 (doublé d'Henri Vignoli) et se qualifient pour les quarts de finale. C'est donc après cette drôle d'aventure qu'on a considéré que le dogue « porta la veine » et qu'il a été adopté.

L'OL au stade de la Légion Saint-Michel le 1er février 1920. Au premier plan, la première apparition d'un dogue en peluche (Sporting, 3 février)

Le 8 février, retour au championnat du Nord : l'OL se rend à Roubaix pour y affronter le Racing. Avant le match, le dogue pose encore, dans les bras d'Henri Vignoli. Le 29 février 1920, l'Olympique Lillois reçoit l'Union Saint-Gilloise pour un match amical. Sur le terrain de l'avenue de Dunkerque, les Belges, avec leur six internationaux, ne font pas de détails : ils gagnent 4-0. Mais les Lillois ont eu une bonne période en milieu de seconde mi-temps, ce qui permet au quotidien "La Vie Sportive" de glisser ce clin d'œil dans le titre de son compte-rendu de match :

Annoncé quelques mois plus tôt, le baptême du dogue est organisé dans la foulée à la Taverne liégeoise (14-16 rue de Paris), l'un des lieux de rassemblement des sympathisants de l'OL.

 

Un contentieux avec un club parisien comme point de départ ?

On sait donc que le surnom viendrait d'un journal « qui voulut la peau de l'OL », comme évoqué dans le bulletin Allez l’OL. Mais quel journal ? Nous n’avons pas (encore) la réponse. Une hypothèse sérieuse est de se tourner vers la presse parisienne. En effet, même si, depuis 1919, le football français est unifié sous l'égide de la FFFA (qui donnera plus tard la FFF), il était jusqu'alors éparpillé en plusieurs fédérations (celle de l'OL : l'Union des Sociétés Françaises de Sports Athlétiques, USFSA). À mesure que le football s'est développé, et notamment à partir du milieu des années 1900, la rivalité entre ces fédérations est allée croissante, chacune cherchant à étendre son influence et s'imposer comme la fédération de référence. Les confrontations interfédérales étaient l'occasion d'échelonner le niveau de chacune. Or, la rivalité la plus forte était celle entre la fédération parisienne et la partie la plus compétitive de l'USFSA : le Nord. Cette rivalité s'exprimait notamment dans l'annuelle confrontation Paris/Nord, un match de gala entre sélections des meilleurs joueurs parisiens et nordistes, qui battait systématiquement le record de recettes pour une rencontre jouée en France, jusqu’à ce que la guerre ne survienne. En plus de ces matchs régionaux, les confrontations entre, d'un côté, Lille, Roubaix, Tourcoing et, de l'autre, le CA XIVe, l'Olympique de Pantin ou l'Olympique de Paris, étaient bien souvent très suivies, et parfois violentes.

Programme de match de la rencontre "Paris-Nord" de 1912. Document Jacques Verhaeghe

Puisque l'apparition du surnom « Dogues » fin 1919 est certaine, on peut alors se pencher sur la question suivante : qui l'OL a-t-il rencontré à ce moment ? Après reconstitution du calendrier de l’équipe antérieur au 10 novembre (date de la première apparition connue du surnom « Dogues » dans la presse) : on trouve notamment une confrontation contre une équipe parisienne : le Club Athlétique Société Générale (CASG), le 2 novembre 1919 (victoire lilloise 2-0). Dans les rares comptes-rendus de ce match, il est notamment indiqué qu’il était question de « jeu dur ». Cela a-t-il valu aux Lillois d'être qualifiés de « Dogues », quelque part dans la presse parisienne, ou dans un bulletin lié au Club Athlétique de la Société Générale ? C'est une hypothèse sérieuse, d’autant qu’un contentieux ancien existait entre les deux clubs.

En 1914, juste avant le début de la Première guerre mondiale, l’OL est officiellement le "champion de France", après avoir remporté le Trophée de France, la seule compétition nationale existant alors. Cependant, cinq ans plus tard, au printemps 1919, le CASG a revendiqué ce titre après avoir remporté la "Coupe de France", compétition créée pendant la guerre et à laquelle l'OL (comme tous les clubs du Nord) n'avait pas pu prendre part. Ses initiateurs avaient pourtant bien précisé que seul l'OL pouvait revendiquer le titre de champion, et ce jusqu'à un an après la fin du conflit.

La statue du Dogue trône au milieu du Domaine de Luchin depuis l'été 2011

Pour conclure sur une note plus légère, voici ce qu'on trouve dans le Dictionnaire général de la langue française et vocabulaire universel des sciences, des arts et des métiers, par François Raymond, en 1832, à Lillois :

« Lillois, oise, adj. Qui concerne Lille, qui vient de Lille. Commerce lillois. Des marchandises lilloises. Il est aussi substantif. Qui est de Lille, originaire de Lille. Les Lillois. Une Lilloise. On nomme aussi Lillois une race de chiens qui proviennent du croisement du doguin et du roquet »

Et dans un dictionnaire de 1858 (Dictionnaire encyclopédique usuel, publié sous la direction de Charles Saint Leurant), voici la définition du roquet :

« nom donné à une variété de chiens de la famille des dogues. Le roquet a la tête ronde, le front bombé, les oreilles petites ; ses jambes sont sèches et sa queue retroussée ; son pelage est ras ; quelques-uns l'ont arlequiné, c'est-à-dire moucheté de noir sur un fond blanc. Le mélange du roquet avec le doguin fournit le chien d’artois ou le chien lillois. »

Damien Boone (avec Maxime Pousset)