Xeka, le facteur X
PAR MAXIME POUSSET
Jeune, mais expérimenté. Nouveau, mais gorgé d’ancienneté. Portugais, mais déjà à l’aise en Français. Revenu chez les Dogues cet été avec la volonté d’y exploser, Xeka n’est pas étranger au brillant début de saison lillois. L’occasion de le passer aux rayons X.
Domaine de Luchin, octobre 2018. Là, comme ça, vu de l’extérieur, il n’est qu’un joueur de foot parmi tant d’autres à qui tout réussi, comme s’il avait été programmé pour accomplir une carrière rectiligne, parmi l’élite. Mais derrière chaque footballeur se cache un parcours singulier parsemé d’embuches, de doutes, de peurs et d’espoirs. Ce chemin, le sien, Xeka nous l’a longuement raconté. Avec humilité, recul et maturité. À l’image du bonhomme, en somme.
Salut Xeka. Mais au fait, pourquoi Xeka, toi qui t’appelles en réalité Miguel Ângelo da Silva Rocha ?
(sourire) "Xeka" est un surnom qui vient de mon grand-père maternel, Francesco, de qui j’étais très proche et qui est maintenant décédé, malheureusement. Quand il était jeune, les gens l’appelaient affectueusement Xekinha, car il était petit. Puis il a grandi, mais ce surnom est resté et s’est transformé en Xeka. Ça l’a suivi. Lorsqu’il a fondé sa famille, c’est devenu la famille Xeka. À 13 ans, j’ai moi aussi décidé de me faire surnommer ainsi, ne serait-ce que dans le football, un peu comme Deco ou Kaká l’ont fait avant moi, par exemple. Mais dans l’intimité, on m’appelle par mon prénom, Miguel.
Tu es né à Rebordosa, une petite ville dans la banlieue de Porto. Raconte-nous à quoi ressemblait l’endroit où tu as grandi ?
(il coupe) Hey, ce n’est pas une petite ville hein ! Il y a quand même des trucs à faire là-bas. Bon, oui, j’avoue que ce n’est pas très grand (sourire). Donc finalement, oui, c’est une petite ville, à une vingtaine de kilomètres de Porto. J’ai grandi dans une grande maison avec ma famille au sens élargi du terme, car nous sommes nombreux. Ma grand-mère maternelle a eu 13 enfants. On ne vivait pas tous au même endroit, bien entendu, même si à un moment, il y avait 7 familles dans cette maison. Mais quand je suis né, nous étions seulement deux familles là-bas. Aujourd’hui, ma grand-mère y vit encore avec mes parents.
Toi et le football, ce fut immédiatement quelque chose de naturel ?
Oui, on peut dire ça. J’ai commencé à jouer dans la cour de l’école, vers 4, 5 ans, chez moi à Rebordosa. Je me souviens que je jouais avec un "grand". C’était lui et moi contre tout le reste de la cour. Et figure-toi qu’on gagnait. C’était incroyable ! J’ai toujours aimé et le foot. Je me souviens que sur mes premières fiches de renseignements à l’école, je répondais "footballeur" lorsqu’on me demandait ce que je voulais faire plus tard.
Tu as donc très vite été voir plus haut la cour de l’école, on imagine…
À 7 ans, je suis allé faire un entraînement avec le club de ma ville. Nous étions une cinquantaine de gamins sur le terrain, mais ils étaient tous plus grands que moi, ils devaient voir 10,11 ans. En plus, j’étais petit pour mon âge. On a fait un grand match, je n’ai pas beaucoup touché le ballon ce jour-là, mais quand je l’ai eu, je l’ai bien utilisé. Le dimanche qui a suivi, je suis allé voir jouer l’équipe première de Rebordosa et j’y ai croisé l’entraîneur des U11 qui m’a demandé de revenir. Mais mon oncle ne voulait pas que je joue avec des enfants plus âgés alors il m’a amené à Paços de Ferreira, le grand club le plus proche de chez moi et j’y ai signé pour jouer avec des gamins de mon âge. J’y suis resté 4 ans avant de partir à Gondomar, une ville juste à côté du stade Dragão du FC Porto.
À 16 ans, changement de culture et direction le Valence CF. Un grand saut dans l’inconnu qu’on n’imagine pas évident à vivre…
J’y ai fait un test à pendant 10 jours et ils m’ont accepté, mais le certificat international a mis 6 mois à arriver. Je n’ai donc pas pu jouer pendant toute la première partie de saison. Ma sœur, Cristiana, qui a aujourd’hui 29 ans et mon beau-frère sont alors venus avec moi car j’étais encore trop jeune dans ma tête. J’étais un enfant qui prenait trop de libertés, qui sortait chaque soir dans la rue jusqu’à 22-23 heures. Il me fallait un cadre. Et puis c’était difficile pour moi là-bas. Déjà parce que je ne parlais pas Espagnol, puis le climat. Il faisait trop chaud, jusqu’à 42 degrés ! Du coup, je n’étais pas bien, je ne mangeais pas. J’ai même perdu 8 kilos en 15 jours. Je m’en voulais car j’étais en train de réaliser mon rêve, celui de devenir footballeur, mais tout était trop dur, j’étais stressé. Le club m’a alors autorisé à vivre dans une maison avec ma sœur et mon beau-frère.
Et alors ? Tu as pu t’acclimater ?
À partir de janvier, j’ai pu jouer les matchs officiels avec les U19, oui. Ça se passait même plutôt bien, le coach était content de moi. Mais un jour, lors d’un entraînement durant lequel il avait beaucoup plu, mon pied est resté planté au sol et mon genou a tourné. Deux mois d’arrêt. A mon retour, l’entraîneur avait changé et le nouveau ne m’appréciait pas. Je suis alors redescendu chez les U17 avant finalement de prendre la décision de rentrer au Portugal en fin de saison. Je n’étais pas bien dans ma tête, j’avais besoin de retrouver ma famille. Je suis donc revenu à Paços de Ferreira malgré d’autres offres de grands clubs portugais. Je devais me ressourcer. J’y ai vécu une saison enrichissante durant laquelle je me suis entraîné avec l’équipe qui jouait en D1. Cette année-là, Paços a terminé 3ème du championnat et s’est qualifié pour la Champions League. J’ai passé toute la saison avec ce groupe-là à l’entraînement mais je n’ai malheureusement jamais eu l’opportunité d’entrer en jeu.
En fin de saison, tu n’as que 19 ans lorsque tu rejoins Braga… où tu t’imposes progressivement comme l’un des meilleurs espoirs….
(il coupe) Non, pas tout de suite. Là encore, ce fut très difficile. Lors du premier entraînement, je reçois un tacle glissé qui me blesse le ligament de la cheville. Entorse : deux mois d’arrêt et une pré-saison totalement gâchée. Cette saison-là, j’étais tout le temps en retard par rapport aux autres. J’ai passé mon temps à essayer de les rattraper, à essayer de jouer strappé. D’ailleurs depuis je suis devenu le pro des straps, je peux t’en faire les yeux fermés (sourire). J’ai quand même pu jouer en réserve, surtout qu’au Portugal, les équipes B peuvent évoluer en D2. C’est le cas de Braga. La deuxième saison, j’ai été prêté à Covilha, toujours en deuxième division. Mais là-encore, des pépins physiques et notamment un problème à la cage thoracique m’ont empêché de m’épanouir. Non, vraiment, j’ai vécu trois années difficiles en début de carrière.
Puis vient cette saison 2015-2016, celle de la révélation. Tu confirmes ?
Oui. En accord avec Braga, j’ai prolongé mon prêt à Covilha et cette fois, j’ai fait une saison pleine, 35 matchs consécutifs. C’était très dur, j’ai beaucoup travaillé. Je me souviens que l’entraîneur nous faisait grimper des cols, car Covilha est une petite ville dans la montagne. En fin de saison, le coach de la réserve de Braga m’appelle pour me dire que je peux devenir un grand joueur. Alors moi, qu’est-ce que je fais ? Je reviens et je donne tout. J’étais à 1000% en présaison. Je fais 11 matchs avec l’équipe B, puis la semaine d’un match de coupe du Portugal, le club organise une opposition entre la réserve et l’équipe première. Ce jour-là, je suis bon, si bien que je suis convoqué avec l’équipe première. J’entre en jeu en coupe et à la fin du match, le coach vient me voir pour me dire que j’avais fait un grand match et je reste désormais avec le groupe pro. Le match suivant, je suis titulaire, puis celui d’après aussi, et ainsi de suite. Tu te rends compte ? Il y avait 6 ou 7 milieux avant moi et je suis systématiquement titulaire. C’est allé très vite. L’équipe tournait bien, on était deuxièmes à un point du Benfica. C’est là que l’opportunité du LOSC s’est présentée…
Nous sommes le 31 janvier 2017. Tu nous raconte ?
Il est 8h15, je suis en route pour l’entrainement quand mon père m’appelle et me dit : « surveille ton téléphone, tu vas recevoir un appel de ton agent. Tu vas peut-être être transféré. » Je savais que le club surveillait les opportunités de transfert me concernant. Mon agent m’a effectivement appelé pour me dire qu’on avait reçu une proposition de Lille en France, où je pouvais être prêté. Je n’y croyais pas. J’ai répondu « OK, j’y vais ! ». Il était alors 11 heures, je me suis quand même mis en tenu d’entraînement, puis nous avons commencé le briefing avec le coach. Puis en pleine réunion, un dirigeant est entré dans la pièce et m’a dit « Xeka, dépêche-toi, ton avion décolle à midi, tu dois aller à l’aéroport. » Ça s’est passé comme ça. Le coach m’a dit d’y aller, je me suis levé et j’ai quitté la pièce. Je suis rentré faire un bisou à mon fils, j’ai pris ma valise et je suis vite parti. Il pleuvait fort ce jour-là, j’ai failli avoir un accident sur la route de l’aéroport, j’ai dérapé plusieurs fois, comme Sebastien Loeb (sourire). J’ai décollé et la suite, vous la connaissez…
En quoi as-tu progressé depuis que tu es arrivé en France ?
Je pense avoir évolué dans ma lecture du jeu. La Ligue 1 est très difficile, il y a un pressing constant. On ne peut pas tricher, sinon ça se voit. Il ne s’agit pas de courir beaucoup, il faut courir bien. Mais pour courir bien, il faut être prêt à courir beaucoup. Alors j’essaye d’être intelligeant dans mes déplacements, de couper les passes…
Qu’est-ce qu’il y a de plus cette saison dans cette équipe lilloise ?
D’abord, la ligne d’attaque est très forte. Derrière, la défense est solide. L’arrivée de José (Fonte) a apporté de l’expérience. Au milieu, les Brésiliens vivent leur deuxième saison en France, c’est donc plus simple pour eux. Dans les buts, on a selon moi le meilleur gardien du championnat. Donc le groupe est très compétitif. Tout le monde bosse dur à l’entraînement, personne ne triche. Tout le monde veut jouer et travaille pour intégrer le groupe le week-end. Et quand tu gagnes, c’est plus facile, chacun se donne à fond. On a aussi l’expérience de la saison dernière en tête. Personne ne veut revivre ça.
Merci pour ta disponibilité, Xeka.