Angel Gomes, ce gamin qui jouait au foot avant même de savoir marcher
Le public lillois le redécouvre cette saison dans un autre registre, plus en retrait des lignes offensives, au cœur du jeu, là où sa qualité de passes est la mieux exploitée. Joueur de ballon, technicien de talent, Angel Gomes s’épanouit désormais à un poste de numéro 8. Mais qui est vraiment cet international espoirs anglais d’origine portugaise issu d’une longue lignée de footballeurs et pour qui le ballon rond est presque élevé au rang de religion ? Nous sommes partis à sa rencontre.
Comment vas-tu, Angel ?
Je vais bien, merci. Nous avons plutôt bien commencé la saison, même s’il y a des éléments à améliorer bien sûr. Il y a malgré tout beaucoup de choses positives. Quoi qu’il en soit, ce n’est que le début du championnat. Tout est encore possible. On a envie de continuer à bien jouer, à être fort jusqu’à atteindre les objectifs que nous nous sommes fixés en début de saison.
Parlons un peu de toi. Les supporters lillois te connaissent en tant que footballeur depuis maintenant plus d’un an. Mais beaucoup ignorent ton parcours.
Je suis né à Londres mais je n’y suis pas resté longtemps. Je n’y ai que peu de souvenirs, mis à part quelques photos et vidéos. Quand j’étais très jeune, vers l’âge de 2 ans, nous avons déménagé à Manchester avec ma famille. C’est là-bas que j’ai passé toute ma vie, jusqu’à signer au LOSC il y a deux ans.
Et pourquoi avez-vous déménagé dans cette grande ville du nord de l’Angleterre ?
Pour le football. Mon grand frère, Rico, qui a 7 ans de plus que moi, avait été accepté à l’Academy de Manchester United. Nous sommes donc tous partis vivre là-bas. Aujourd’hui, il ne joue plus. Il a malheureusement dû arrêter sa carrière à cause d’une blessure, mais c’était quelqu’un que j’adorais regarder jouer quand j’étais plus jeune.
Il me semble que ton papa aussi était footballeur…
Oui, mon père, Gil est né en Angola mais a rejoint le Portugal pour y jouer au foot. Il a notamment porté les maillots du Benfica et de Braga (ndlr : il a même brièvement évolué en France au Tours FC, en 1992-1993, avant de mener une longue carrière en Suisse, aux Etats-Unis, en Italie et pour finir, en Angleterre). Ma maman aussi est Angolaise, même si de son côté, elle est partie s’installer à Cuba quand elle était enfant, c’est pourquoi elle parle aussi espagnol. Ma famille est un grand mélange (sourire).
Toi, tu es né en Angleterre, mais quelle place occupe l’Angola dans ta vie ?
Ce sont mes racines, celles de ma famille. J’ai encore beaucoup de proches qui vivent en Afrique. C’est donc important pour moi. À la maison, avec mes parents, on parle portugais (l’Angola est un pays lusophone). Il n’y a qu’avec mes frères et sœurs qu’on parlait principalement anglais entre nous, quand nous étions petits.
En parlant de ta famille, j’ai lu qu’elle était très proche de celle de Nani, l’ancien international portugais passé notamment par Manchester United. Tu confirmes ?
Oui, nous sommes très proches. Sa famille et la mienne forment quasiment une famille à part entière. Lorsqu’il jouait à Manchester United (2007-2015), j’étais encore assez jeune. Il a beaucoup aidé mon grand frère, qui intégrait justement le centre de formation d’United, il s’entraînait avec lui. Nous allions souvent chez lui après les entraînements. Il était un vrai modèle pour moi, une idole. Aujourd’hui encore, on se parle, on s’appelle, il me conseille, il me dit quoi faire pour m’améliorer. C’est vraiment important pour moi d’avoir quelqu’un comme lui autour de moi.
J’allais te demander d’où te venait ta passion pour le football, mais je pense qu’avec tout ton environnement, on a déjà la réponse…
(il sourit) Oui, le foot est vraiment une passion familiale chez moi. Je crois que ma famille tout entière a joué ou joue au foot. C’est quelque chose de naturel chez nous. Mon petit cousin joue actuellement à Benfica, d’autres évoluent au Portugal. Je crois même que je jouais au foot avant même de marcher. Mon premier mot a été « ball ». J’ai toujours beaucoup joué, partout, tout le temps. En plus de cette passion, je pense que c’est simplement un don.
Alors justement, parlons-en de cette enfance à jouer au foot. Quand tu repenses à tes jeunes années, quels souvenirs te reviennent ?
(il se perd dans ses pensées) J’ai vraiment connu une enfance heureuse. Quand nous sommes arrivés à Manchester avec ma famille, nous n’avons pas eu de maison tout de suite. Nous avons d’abord vécu dans un council estate (ndlr : ensemble de logements publics construit sur un seul complexe immobilier par les autorités locales). Notre appartement était situé juste au-dessus d’un restaurant chinois. C’était très petit, très communautaire, nous étions tous ensemble, comme une famille, avec beaucoup d’enfants, nous passions notre temps à jouer au foot.
Nous avons ensuite déménagé à Salford, une ville très "dure" dans la banlieue de Manchester. Nous vivions dans les quartiers de Broughton, puis de Clarendon. Ce sont des zones difficiles, dans lesquelles il faut être fort au quotidien. Là-bas, si vous demandez à quelqu’un s’il me connaît, il vous répondra qu’il se souvient de moi en train de jouer au football dans la rue, dans les parcs. C’est vraiment là que j’ai appris les bases du football, que j’ai développé mes "skills", non pas sur de la pelouse, mais sur le bitume, sur un sol dur.
"C’est vraiment là, dans la rue, dans les parcs, que j’ai appris les bases du football, que j’ai développé mes "skills", non pas sur de la pelouse, mais sur le bitume, sur un sol dur"
À partir de quand as-tu commencé à jouer en clubs ?
J’ai commencé le football en club quand j’avais 6 ans, à Manchester United, dans une sorte de petit centre de développement, mais sans compétition, seulement à travers des stages, des entraînements. Je suis aussi allé parfois à Manchester City ou à Liverpool toujours comme ça, pour des entraînements. Je n’y ai pas signé de licence. Il m’est aussi arrivé d’accompagner dans son club un ami de la rue dans laquelle je vivais et qui faisait du foot. Son père nous emmenait jouer avec le Barr Hill JFC, un petit club près de chez moi. C’est seulement lorsque j’ai eu 9 ans que j’ai réellement signé une licence avec Manchester United.
Tu poursuis alors ton développement avec l’Academy des Red Devils. Tu progresses rapidement et très vite, tu es lancé chez les pros…
C’est vrai que j’ai eu la chance de faire très vite mes débuts avec les pros. J’avais 16 ans et je me suis retrouvé propulsé avec des joueurs incroyables autour de moi comme Wayne Rooney, Michael Carrick, Paul Pogba, Marcus Rashford, Jesse Lingard, avec José Mourinho comme entraîneur. J’étais là, au milieu, je voyais ces mecs, je me disais que c’était fou. Mais j’ai su saisir les opportunités qui m’ont été offertes par le coach, j’ai réalisé une bonne saison. C’était fantastique de vivre ça dans mon club, celui de ma ville, là où j’ai grandi.
Comment as-tu vécu cette notoriété soudaine et plutôt intense ?
Si j’ai su garder la tête froide ? Oui. J’avais ma famille autour de moi. Tout le monde a toujours fait en sorte que je garde les pieds sur terre. Vous savez, quand on grandit dans l’endroit où j’ai grandi, c’est impossible de prendre la grosse tête. C’est quelque chose sur lequel ma famille a toujours beaucoup veillé.
Comme tu l’as récemment confié en conférence de presse, tu n’es « pas un joueur de rugby ». Sous entendant que tu n’as jamais été le plus grand et le plus physique de ton équipe. Comment as-tu adapté ta morphologie au football de haut niveau ?
(il réfléchit) Je pense que j’ai appris à réfléchir davantage, plus vite aussi. À être plus intelligent sur le terrain en ayant toujours un ou deux temps d’avance sur mes adversaires. Quand j’étais petit, je regardais beaucoup le Barça. J’adorais Andrés Iniesta, Xavi, je m’inspirais de leur façon de jouer. Aujourd’hui, j’observe des joueurs comme Bernardo Silva, Marco Verratti. Ils sont petits, mais ça importe peu. Ils sentent le football. Et pour moi, c’est ça le plus important. Je ne serai jamais un joueur physique, costaud. Alors bien sûr, parfois je vais échouer. C’est normal, c’est la vie, c’est le football. Mais j’ai réussi à développer d’autres qualités, même si c’est vrai que j’ai toujours été l’un des joueurs les plus petits.
En 2020, tu signes au LOSC, qui te prête immédiatement à Boavista, au Portugal. Te voilà alors dans ton deuxième pays. Que gardes-tu de cette expérience ?
Je garde en moi les moments vécus là-bas. Les gens, les supporters, le club. Dès le départ, ils m’ont intégré à cette famille. Ce n’était pas forcément simple pour moi au début. Je quittais Manchester, la ville dans laquelle j’avais toujours vécu. Ils m’ont traité comme si j’étais l’un des leurs. J’ai beaucoup aimé cette saison à Boavista (2020-2021), que ce soit en termes de football ou dans la vie quotidienne qui est très différente de celle que je vivais en Angleterre. Il fait toujours beau et chaud. Les vibrations, les énergies sont très différentes. J’adore la cuisine du pays et puis j’ai aussi pu améliorer mon Portugais, puisque je le parlais au quotidien.
Un an plus tard, tu découvres la France, Lille, le LOSC. En quoi était-ce là encore différent pour toi ?
La langue déjà. J’apprends. Aujourd’hui je comprends bien le Français. J’essaye de le parler, mais j’ai encore un peu de mal à être à l’aise. C’était assez différent au départ. Le vestiaire, les partenaires, mais aussi le football français, le championnat. Tout était nouveau pour moi. Ma première saison a donc été consacrée à m’adapter à tout ça, à ce football plus physique, plus tactique.
Depuis le début de la saison, Paulo Fonseca te replace souvent à un poste de milieu relayeur, dans le cœur du jeu, toi qui évoluais plutôt en position d’ailier par le passé. Tu sembles t’y épanouir, n’est-ce pas ?
Je suis heureux, je joue au football. Quand je joue au foot je suis toujours heureux. Cette position me plaît, c’est vrai. J’apprends beaucoup, je me sens bien, plus à l’aise, plus en confiance aussi. J’aime avoir le ballon et j’aime la façon dont le coach veut que l’équipe joue. Il aime que nous ayons la possession, ça m’aide à créer, à apporter à l’équipe. J’essaye de répondre aux demandes de l’entraîneur et de donner mon maximum. Ce n’est pas vraiment une position nouvelle pour moi. Quand j’étais plus jeune, en Angleterre, il m’est déjà arrivé de jouer là. Je comprends le football, je regarde beaucoup de matchs. J’arrive rapidement à saisir ce qu’on attend de moi sur le terrain. J’aime évoluer au cœur du jeu, contrôler le match, aider l’équipe à avancer, à temporiser, à accélérer
D’ailleurs, c’est quoi ton geste préféré sur un terrain ?
(il réfléchit) Humm, bonne question. Je dirais les passes, qu’elles soient courtes, longues, entre les lignes, mais aussi le dribble. J’aime me sortir d’une situation par une belle passe ou un beau dribble. L’essentiel pour moi est de marquer, que l’équipe marque. Si ce n’est pas moi, alors je dois faire une passe décisive. Pour moi, c’est aussi important qu’un but. En tout cas, quand je fais une passe décisive, je suis aussi heureux que quand je marque.