Michel Seydoux : "Ne pas porter de coup fatal au football français"

À la veille d’un rendez-vous décisif entre les clubs professionnels français et François Hollande auquel participera Michel Seydoux, l’homme fort du LOSC répond pour LOSC.fr aux interrogations des supporters du LOSC et plus généralement des amoureux de football français sur la très polémique "taxe à 75%".

Le président lillois est clair et ferme : si elle est votée, cette nouvelle taxe mettra très sérieusement et définitivement en péril la compétitivité - voire la survie - du football hexagonal ! C’est le message qu’il transmettra au Président de la République demain.

Président, l’UCPF a voté à l’unanimité son opposition à la "taxe à 75%" et les présidents de clubs français se sont montrés solidaires de la "journée blanche". Pouvez-vous nous rappeler pourquoi ?
Parce ce que le projet dit de "la taxe à 75%" est la goutte d’eau qui fait déborder le vase d’un vrai et grand ras-le-bol fiscal du football français. Rappelons qu’à l’origine, le fondement de ce projet de loi était d’imposer les hauts revenus. Au final, ce sont aujourd’hui les clubs qui sont désignés pour s’acquitter d’une nouvelle taxe. Ce mouvement de protestation unanime répond à la pirouette du gouvernement qui veut imposer à tout prix une promesse de campagne et faire voter, pour la forme, une mesure dénuée de sa vocation et de son contenu d’origine. Faut-il, pour sauver la face, faire voter une mesure populiste ou revenir à la raison avant qu’il ne soit trop tard afin ne pas porter le coup fatal au football français ? Notre action doit permettre une prise de conscience de nos élus et rouvrir les portes de la négociation.

"Le fondement de ce projet de loi était d’imposer les hauts revenus. Au final, ce sont aujourd’hui les clubs qui sont désignés pour s’acquitter d’une nouvelle taxe."

Sur le fond, que reprochez-vous à cette taxe ?
Il y a beaucoup à redire ! D’abord, cette loi visait au départ à imposer les hauts salaires. Elle s’est aujourd’hui transformée en une taxe supplémentaire très lourde pour les employeurs. Ensuite, il est irresponsable de taxer des PME qui, pour la majorité concernant les clubs de football, sont déficitaires. C’est enfin une taxe injuste et inégalitaire : 1. Parce que tous les hauts revenus ne sont pas logés à la même enseigne : artistes, professions libérales et sportifs individuels ne seront pas soumis à la taxe ; 2. Parce qu’il est prévu qu’elle soit en plus rétroactive, une aberration économique supplémentaire.

Le foot ne doit-il pas cependant contribuer à l’effort collectif en temps de crise ?
Bien sûr, et c’est ce qu’on fait ! Et les clubs contribuent déjà largement à l’effort ! Nous n’avons pas attendu ce nouveau gouvernement pour être solidaires et avoir un rôle social. Pour rappel, le football verse déjà à l’Etat 700 millions d’euros d’impôts et de charges sociales, génère 25 000 emplois, verse 130 millions d’euros chaque année en solidarité à tous les sports amateurs, participe à plus de 1600 actions citoyennes chaque année…

"La rétroactivité de cette taxe est une aberration économique supplémentaire"

L’action des clubs de L1 semble néanmoins, pour l’heure, assez impopulaire dans l’opinion publique…
Mais elle l’est de moins en moins ! Les clubs ont eu l’occasion depuis plusieurs jours d’expliquer leur action, le pourquoi de cette opposition à cette nouvelle taxe, et nous remarquons que le public nous a entendus, nous a compris. Il soutient de plus en plus notre démarche et, comme le montre le dernier sondage Opinionway, 67% des Français jugent aujourd’hui que ce n’est pas aux clubs de s’acquitter de cette taxe. De plus en plus de personnalités s’élèvent aussi contre cette taxe et sa rétroactivité. C’est le cas par exemple de l’ancien président de la DNCG ou du président du CNOSF.

Le public peine néanmoins à croire que les clubs de football sont des entreprises pauvres…
Mais c’est pourtant bel et bien le cas. Le public ne maîtrise pas toujours la réalité de notre activité, il en a souvent une vision incomplète ou erronée. La grande majorité des clubs est déficitaire, on perd tous plusieurs millions d’euros, parfois plusieurs dizaines de millions d’euros chaque saison. Le football est trop souvent réduit aux gros salaires et aux gros transferts de certaines stars. Si ces salaires existent, ils ne doivent pas occulter la réalité des déficits des clubs. On taxe un secteur qui perd de l’argent ! C’est unique et scandaleux !

"Les clubs contribuent déjà largement à l’effort collectif : 700 millions d’euros d’impôts et de charges sociales, 25 000 emplois, 130 millions d’euros chaque année versés aux sports amateurs, plus de 1600 actions citoyennes tous les ans…"

Certains pointent du doigt le fait que les clubs n’auraient pas dû attendre cet état critique et être mieux gérés depuis longtemps…
Les clubs français sont bien gérés, ils sont même parmi les mieux gérés et les plus contrôlés dans le monde. Mais ils ont dû, comme de nombreux autres secteurs d’activité, faire face à une grave crise économique mondiale. Les secteurs en crise sont habituellement aidés. Ici, c’est le contraire, on surtaxe un secteur en crise.
Dans le même temps, il est utile de rappeler que les clubs français sont déjà fortement soumis à l’imposition et aux taxes : les charges sociales payées par nos clubs sont les plus élevées d’Europe. À titre d’exemple, un joueur en France coûte 33% plus cher à son club qu’un joueur en Allemagne, en Angleterre, en Italie ou en Espagne. Sans oublier la suppression du DIC (Droit à l’Image Collective) qui coûte 50 millions d’euros chaque saison.

Certains estiment que cette "journée sans match" traduit un certain mépris des spectateurs et partenaires… ?
C’est tout le contraire ! Nous nous battons pour sauver le football, nous nous battons pour avoir les moyens de proposer un spectacle de qualité à offrir à nos supporters !
Les supporters qui ne veulent pas d’un "sous-football" en France doivent s’opposer à cette taxe… Les partenaires, les diffuseurs et même les médias ont eux aussi besoin de spectacle, de grands joueurs, de grands matchs de championnat, de grandes performances européennes, car cela impacte leur activité et leur économie. Cette taxe pénaliserait directement les clubs, mais par extension elle pénaliserait tout l’environnement du football, les spectateurs et téléspectateurs. Je pense que les amoureux du foot sont en mesure de comprendre cette démarche.

"Nous nous battons pour sauver le football, nous nous battons pour avoir les moyens de proposer un spectacle de qualité à offrir à nos supporters !"

Que redoutez-vous concrètement en cas d’application de cette taxe ?
Le débat autour de cette taxe pose la question de savoir de quel football on veut en France ? Un football de troisième zone, sans spectacle, sans star, sans résultat, dans des stades vides… ? Je ne pense pas que ce soit le choix des Français. En tout cas, nous aurons prévenu et prendrons obligatoirement les mesures en conséquence : réduction des budgets, départ des meilleurs joueurs et des jeunes en formation, départ des partenaires, diminution des droits TV, fuite des actionnaires… Il est certain que si on se dirige vers un niveau affaibli de notre club et de notre championnat, nous n’intéresserons plus personne !

Et pour le LOSC ?
Très concrètement, environ 5 millions d’euros de charges supplémentaires par an pour un club qui est déjà déficitaire ! Et comment voulez-vous attirer des investisseurs et nouveaux actionnaires dans nos clubs avec une telle politique fiscale ? Donc ces 5 millions d’euros de charges additionnelles se traduiront par une baisse de la masse salariale, par la poursuite de l’exode de nos meilleurs joueurs, de nos meilleurs jeunes, par une compétitivité sportive encore réduite et un stade flambant neuf qui se vide !

Qu’espérez-vous de cette rencontre demain avec François Hollande ?
Nous voulons que les responsables politiques comprennent la réalité de la situation, qu’ils prennent leurs responsabilités pour que nous puissions pérenniser l’avenir de notre sport. Les clubs professionnels demandent donc le retrait pur et simple de cette mesure. Nous sommes déterminés à aller au bout de notre action.