​​Sur Twitter aussi, un derby ça se gagne

PAR MAXIME POUSSET

« Un derby, ça ne se joue pas. Ça se gagne. » La formule est éculée, tant elle a été rabâchée, ressassée, presque usée, saison après saison par des générations entières de supporters. Parce qu’au fond, la seule chose qui compte dans un Lille-Lens, c’est la victoire, non ? À y réfléchir, non, pas seulement... La tweet credibility, ça compte aussi. Plongée dans l’autre derby, le derby digital.

La vérité du terrain, les trois points et autres scènes de liesse collective ont rempli le cœur de milliers de supporters lillois ces 14 dernières années (série en cours en L1). Mais à côté de la loi du ballon subsiste une autre bataille, plus subtile, celle du "chambrage" que tout footeux connaît forcément depuis l’école primaire et que chacun veut remporter la tête haute, le torse bombé. « Tous les supporters lillois de mon âge vous le diront : au collège, au lycée, on a pris cher, se souvient Johan, 38 ans, patron du bar Le Temple (@LeTemple11) et particulièrement en verve lorsqu’il s’agit de taquiner le voisin sur Twitter. Pendant que le LOSC végétait en D2, les Lensois étaient champions, jouaient l’Europe. Donc forcément, aujourd’hui on prend un peu notre revanche. Et pas de bol pour eux, il y a les réseaux sociaux… »
 

Vanner, oui. Insulter, non


Et ça, ça change tout. Autrefois cantonné à la cour de récré, aux vestiaires de foot et autres machines à café, ce concours de la meilleure vanne pré, mais surtout post match a carrément pris des allures de sport national à l’ère des réseaux sociaux. Question de suprématie régionale, toujours. Question de fierté, surtout. Et contrairement aux 90 minutes réglementaires du prochain LOSC-RCL, le derby digital, lui, a bel et bien commencé sur le célèbre réseau à l’oiseau bleu, véritable temple du "chambrage", du troll, de la bonne blague, parfois fine, souvent décalée. Mais attention, les codes sont stricts dans le tweet game, vanner oui, insulter non. Injurier sur les réseaux, c’est perdre au concours de l’éloquence, c’est sortir par le bas d’un petit jeu qui justement demande un trait d’esprit et une bonne dose d’humour. « Traiter les mamans, c’est facile, résume Johan. Je vois souvent passer des échanges insultants. Je ne dis pas que je ne l’ai pas fait quand j’étais plus jeune, mais disons qu’avec l’âge, tu gagnes en second degré. Et puis entre nous, une bonne vanne en cette période morose, c’est important, non ? »

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L’art de la punchline fine et décalée


De là à affirmer que le derby se gagnerait aussi sur Twitter, il y a un pas qu’on ne saurait toutefois franchir. « On a beau réfléchir aux meilleures vannes du monde, si on ne gagne pas sur le terrain, elles ne seront jamais validées. » La victoire comme seule certification à l’humour twitterien, au risque de recevoir un méchant effet boomerang. Là encore, tact et subtilité sont requis. « Je tweeterais bien qu’on va les "taper", mais on risque de me le ressortir si ça ne se passe pas bien sur le terrain. C’est ça le problème avec Twitter, ça laisse des traces, contrairement aux stories Instagram, par exemple. Et là, on ne te fait pas de cadeaux. »

Mais du coup, c’est quoi une bonne punchline de derby ? Johan, inventeur de la bière (désormais légendaire) La 96ème et qui se refuse à follow les supporters lensois sur les réseaux sociaux, dévoile son secret : « Les clichés, il n’y a que ça qui fonctionne, que ce soit vrai ou pas, qu’importe. Les Lensois, par exemple nous chambrent exclusivement sur notre supposée absence de supporters. Ils sont restés bloqués en 1995 alors qu’en vrai, chacun sait que le Stade Pierre Mauroy possède habituellement l’une des meilleures affluences de Ligue 1… devant son rival, d’ailleurs. »
 

Le rôle crucial des CM


 

Célèbre (et qualitatif) site internet dédié à l’actualité du LOSC, LePetitLillois.com a parfaitement saisi les contours de cette rencontre pas comme les autres. « Nous avons un programme de contenus bien établi et largement plus étoffé qu’avant un match classique », indique Thomas (@delegliseT), rédacteur pour le principal média-supporter du LOSC, qui rassemble 17 000 followers sur Twitter (@LePetitLillois). « Interviews d’anciens Dogues, de supporters adverses, vidéos, statistiques… On a eu toute la trêve internationale pour réfléchir et travailler nos sujets et on sait que sur ce match, ça va faire du clic. On met donc le paquet, mais sans aucun chambrage. Ce n’est pas notre ligne de conduite. Enfin, avant le match... »

Et au LOSC, on en pense quoi ? « Nous savons qu’un derby n’est pas un rendez-vous comme un autre. Au club, des joueurs aux administratifs, tout le monde est galvanisé par cette tension et cette excitation uniques, indique l’un des Community Managers de @losclive, le compte Twitter officiel du club, lequel aura le rôle crucial d’exalter autant que d’encadrer cette véritable excitation virtuelle toute la semaine et plus encore pendant le match. « En tant que CM du LOSC, notre rôle n’est pas de dire à nos supporters comment vivre ce derby, ni d’encourager telle ou telle attitude, mais bien de mobiliser notre communauté
 


« Nous avons choisi de raconter LOSC-RC Lens à travers l’Histoire, des images et témoignages forts, tout en respectant l’adversaire, mais en appliquant un trait d’humour et de légère provoc’ propres à cette rivalité, poursuit l’un des CM lillois, à la tête d’un compte à 761 000 followers (contre 247 000 pour l’adversaire du week-end). Il y a aussi pour nous une volonté de transmettre cette passion à nos plus jeunes supporters qui ne sont pas suffisamment âgés pour avoir connu les grandes heures du rival en Ligue 1... » Thomas, 20 ans, notre supporter-rédacteur pour Le Petit Lillois est de ceux-là. Celui qui avoue être « tombé amoureux du LOSC d’Eden Hazard », comme beaucoup, n’a connu que le bref derby de 2014-2015, lui dont le frère aîné est « devenu supporter lensois, juste pour m’embêter » et qui sait que lundi matin sera forcément placé sous le signe du "chambrage", en famille ou à la fac. 

« Ce n’est que du foot », affirmeront les ignorants. « Non, c’est le derby », leur répondront les supporters des deux camps, impatients autant qu’excités par l’idée de retrouver cette émotion si particulière d’un LOSC-RCL. « J’avoue que le stress commence un peu à monter, comme si c’était nous qui allions jouer, résume Johan. En vrai, j’ai toujours aimé voir Lens en Ligue 2, mais je dois bien admettre que cette petite adrénaline-là m’avait manquée ». À nous aussi…

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Au fait, on ne vous a pas dit ? On a reçu une carte postale au Domaine de Luchin ;-)